Le mardi 14 janvier 1992, quelques heures à peine après la passation à la tête du PS de Pierre Mauroy à Laurent Fabius, un fait sans précédent se déroule au siège du parti, rue de Solférino à Paris.
Sans avertir quiconque, le nouveau juge d’instruction, Renaud Van Ruymbeke perquisitionne le siège du Parti Socialiste à la recherche de fausses factures.
L'affaire Urba
Ce n'est qu'à la fin des années 80 que la justice s'est, pour la première fois, intéressée au système de financement occulte du PS et du PCF. Les mécanismes et les réseaux existaient pourtant depuis des années.
Tout a commencé par un tragique mais banal accident du travail.
Le 13 juin 1990, deux ouvriers du bâtiment trouvent la mort sur un chantier de la communauté urbaine du Mans, où les conditions de sécurité n'ont pas été respectées.
Chargé d'enquêter sur les circonstances de cet accident, le juge d'instruction Thierry Jean-Pierre entend, le 8 janvier 1991, en qualité de témoin, le docteur Pierre Coicadan, conseiller municipal du Mans et secrétaire fédéral du Parti socialiste de la Sarthe.
Celui-ci fait d'importantes révélations : dans le cadre de ses activités politiques, il a eu connaissance de circuits de financement occulte, destinés au PS et au PC par l'intermédiaire d'associations et de bureaux d'études, tels Urba-Conseil, Urba-Technic, Gracco et Bretagne Loire Equipement (BLE).
L'affaire Urba est lancée !
Deux mois plus tard, le juge Jean-Pierre se procure une copie des cahiers Delcroix, (un responsable d'Urba qui consignait scrupuleusement dans des cahiers d'écoliers à spirale les comptes rendus des réunions du groupe).
Ces documents, saisis lors d'une perquisition à Marseille par l'inspecteur de police Antoine Gaudino apportent de précieuses précisions sur le fonctionnement du réseau :
Afin d'obtenir des marchés publics, les entreprises versent des commissions aux différentes officines concernées, généralement 2% des marchés obtenus. Cette somme est ensuite répartie selon des proportions bien établies.
Concernant Urba, 40% des sommes récoltées reviennent au groupe, 30% aux sections locales du Parti socialiste, et 30% à sa caisse nationale.
Lorsque Christian Giraudon, ancien délégué régional d'Urba dans la Sarthe, est interpellé, il confirme ces pratiques.
Le dimanche 7 avril 1991, le juge Jean-Pierre se rend à Paris pour perquisitionner le siège parisien d'Urba, provoquant le premier coup d'éclat de ce dossier.
Georges Kiejman, ministre délégué à la Justice de l’époque, condamne ce « cambriolage judiciaire ». Le juge Jean-Pierre est dessaisi du dossier, lequel est confié à la chambre d'accusation de la cour d'appel de Rennes, et le conseiller Renaud Van Ruymbeke hérite de l'instruction.
Il découvre qu'un autre bureau d'études, la « SAGES », dirigé par un proche du PS, Michel Reyt, fait également office de pompe à finances dans la Sarthe.
Concurrente d'Urba, la SAGES présente l'avantage de reverser les deux tiers des commissions perçues (au lieu de 30%) aux élus locaux.
Le 13 janvier 1992, Renaud Van Ruymbeke effectue plusieurs perquisitions : dans les locaux de la société à Paris mais aussi dans les locaux de la fédération du PS de la Sarthe. A l’issue desquelles Jacques Jusforgues, premier secrétaire, conseiller régional PS, et Pierre Villa, ancien adjoint au Mans, sont interpellés.
Van Ruymbeke, épaulé par les inspecteurs de la brigade financière du SRPJ de Rennes, se rend le 14 janvier 1992 au siège du PS.
Les investigations du juge lève le voile sur un système particulièrement bien huilé.
Henri Emmanuelli, alors président de l'Assemblée nationale, est à son tour entendu à Rennes par le juge Van Ruymbeke, en sa qualité de trésorier du PS de 1988 à 1992.
Le 14 septembre 1992, Henri Emmanuelli est mis en examen pour « complicité et recel de trafic d'influence ».
Relire aussi :
7 avril 1991 - perquisition au siège d'Urba
14 septembre 1992 - Henri Emmanuelli est inculpé