Le 9 novembre 1911, l'Europe s'inquiète des roulements de tambour en Allemagne, en France et en Grande-Bretagne. On sort à peine de la crise d'Agadir et après plusieurs années paisibles, la guerre générale devient une perspective plausible...
À Berlin, Ferdinand August Bebel, un vieil homme monte à la tribune du Reichstag, la Chambre des députés de l'Empire allemand. D'une voix que les témoins disent claire et envoûtante, il s'adresse à ses collègues :
« Ainsi, on armera de tous les côtés et l'on ira jusqu'au point où l'un ou l'autre des adversaires dira : ''Mieux vaut une fin rapide dans l'horreur qu'une horreur sans fin''. C'est à ce moment-là que viendra la catastrophe. L'Europe entière suivra le tambour et seize à dix-huit millions d'hommes dans leur plus bel âge, la fleur des différentes nations, sortiront équipés des meilleurs instruments d'assassinat. Le crépuscule des dieux approche pour le monde bourgeois ».
À ces mots, la plus grande partie de l'assemblée éclata en risées et trépidations, sur quoi l'orateur poursuivit : « Soit, vous prenez le parti d'en rire. Eh bien, vous verrez le résultat : après la guerre, nous serons confrontés à une faillite massive, à la misère générale, au chômage universel et à une grande famine ».
August Bebel – Le Jaurès allemand
Né le 22 février 1840 près de Cologne, dans la famille d'un sergent prussien, August Bebel connaît la misère après la mort de son père et apprend le métier de tourneur.
Il s'engage dans le mouvement ouvrier et découvre le marxisme sous l'influence de Wilhelm Liebknecht, un intellectuel de quinze ans son aîné.
Ensemble, ils militent pour renverser le régime capitaliste et fondent en 1869, à Eisenach (Thuringe), le Parti ouvrier social-démocrate (Sozialdemokratische Arbeiterpartei).
August Bebel devient en 1871 député au Reichstag du nouvel Empire allemand et ne va plus quitter son siège... sauf pour des séjours en prison.
De 1878 à 1890, aussi longtemps que perdurent les lois antisocialistes de Bismarck, il apparaît comme la figure de proue du socialisme allemand. Sa popularité s'exprime dans les surnoms flatteurs qui lui sont attribués : « Empereur des travailleurs », « Empereur Bebel »...
Ce « prophète de malheur » décèdera le 13 août 1913 dans un sanatorium près de Zurich et ne verra pas la catastrophe qu’il avait annoncée.