Le dossier de la Compagnie universelle du canal interocéanique de Panama est porté devant la cour d'assises de la Seine. Financement des partis politiques, corruption de la presse et des élus sont au cœur du scandale le plus impressionnant de la IIIe République.
Un projet hasardeux
En 1878, Ferdinand de Lesseps, qui bénéficie d'une forte popularité depuis la création de Suez, réussit à faire admettre l'idée du percement du canal de Panama.
La construction est prévue pour durer douze ans et coûter 600 millions de francs.
Comme pour Suez, Lesseps crée le 20 octobre 1880 une société anonyme en vue de collecter les fonds et conduire le projet, la Compagnie universelle du canal interocéanique de Panama.
Les travaux débutent l'année suivante, mais l'entreprise est menée avec une incroyable légèreté.
Ainsi, en dépit du relief, des éboulements, de la fièvre jaune qui décime les travailleurs, Lesseps s'obstine dans la création d'un canal à niveau, sans écluses.
De plus, il dissimule l'ampleur des dépenses qui atteindront plus du double de ce qui était prévu.
Devant les retards et le surcoût considérable du chantier, les titres s’effondrent, menaçant la réalisation du canal.
En 1887, la compagnie a déjà englouti 1.400 millions et n'a déblayé que 37 millions de m3 sur les 70 millions prévus.
Dans l'impasse, il fait appel à l'ingénieur Gustave Eiffel, déjà célèbre en raison de sa tour qui sera inaugurée lors de l'Exposition universelle de 1889. Celui-ci n'hésite pas à engager son prestige au service du vieil entrepreneur et remet à plat le projet en prévoyant notamment des écluses.
Il faut donc trouver à nouveau de l'argent !
Ferdinand de Lesseps lance alors une nouvelle souscription publique, mais une partie de l’argent est utilisée de manière occulte par différents financiers (notamment Jacques de Reinach et Cornélius Herz) pour convaincre divers journalistes de promouvoir le projet, puis pour acheter des parlementaires afin qu’ils débloquent des fonds publics et promulguent des lois sur mesure pour l’émission d’un dernier emprunt en 1888.
Obtenu le 9 juin 1888, par des moyens de corruption, le vote ne peut empêcher la mise en liquidation de la compagnie, le 4 février 1889 et la ruine de près de cent mille souscripteurs.
Révélation de l’affaire
L’Affaire éclate quand la Libre Parole, d'Edouard Drumond, dénonce la ruine de 85.000 petits épargnants, la corruption parlementaire et le rôle de Herz et de Reinach. Ces révélations provoquent une intense émotion dans l'opinion publique. Une centaine de députés, les « chéquards », sont compromis, y compris Clemenceau, dont la carrière connaîtra une éclipse de dix ans.
Le procès débute le 8 mars 1893
Verdict du procès, le 20 mars 1893
Le scandale de Panama se solde le 20 mars 1893 par la condamnation à 5 ans de prison d'un ancien ministre des travaux publics, Baïhaut, qui a eu seul la naïveté d'avouer son implication dans cette gigantesque escroquerie. Parmi les autres inculpés, Ferdinand de Lesseps et Gustave Eiffel échappent de justesse à la prison grâce à une prescription bienvenue.
Émile Loubet, alors ministre de l’Intérieur et anciennement ministre des Travaux publics (1887-1888) doit démissionner.
Clemenceau, lui aussi sali par le scandale, ne sera pas condamné.
Répercussions
Ferdinand de Lesseps sombre dans la sénilité. Il s'éteint tristement en 1895.
En 1892, Édouard Drumont, auteur du pamphlet antisémite La France juive (1886), dénonce le scandale de Panama dans son journal, La libre parole. Il souligne l'implication de plusieurs financiers israélites et relance de ce fait l'antisémitisme en France. L'affaire Dreyfus éclatera trois ans plus tard.
Désabusés, les épargnants français vont désormais renoncer aux investissements industriels et leur préfèreront les placements de «père de famille» (comme les emprunts russes qui se solderont en définitive par une déconfiture aussi retentissante !).
Il appartiendra finalement aux Américains de percer l'isthme. Le canal de Panama avec d'énormes écluses sera inauguré le 3 août 1914 (le jour même de la déclaration de guerre de l'Allemagne à la France).
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